Sondage pour « Artistes oubliés » et « Artisans méprisés »

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Pour mesurer l’état de santé d’une démocratie, on peut autant chercher à analyser le traitement accordé à une presse dite divergente que le traitement accordé aux troubadours, car de tout temps, l’autorité a toujours cherché à contrôler le message. Autrement dit, il n’y a pas de presse libre dans une dictature, car il n’y règne qu’un ministère de la Propagande, soit un ministère qui tend toujours à nous dicter quoi penser et quand penser via de coûteuses campagnes publicitaires. Dans un tel contexte, il n’y a donc plus de place pour les troubadours, car ceux-ci sont aussitôt jetés en prison pour hérésie envers l’État advenant certains écarts de philosophie avec les dogmes imposés par le dictat de l’heure.

Au Québec, de nombreux artistes mangent à la même table que nos politiciens, et ce système relationnel y est donc très fort, mais que deviennent ceux qui ne mangent pas à pareille auge ? L’histoire de Mme Pier Béland en est le meilleure des exemples. Naturellement, je ne dis pas que celle-ci fut la suprême diva du Québec, mais je dis qu’elle fut une artiste complète et sincère indéniablement aimée par un public fidèle de la même trempe que Michèle Richard et Michel Louvain, et ce, au-delà de bien des chanteurs actuellement imposés par l’industrie. Ce qui est, admettons-le, déjà fort enviable pour la plupart des membres de la colonie artistique du Québec. La carrière de cette dame aurait donc toujours dû impliquer une couverture médiatique appropriée, mais cela fut-il réellement le cas ?

Maintenant, remontons le temps à cette époque où foisonnait « Piment fort » et autres émissions caustiques. Cette époque où nos humoristes vedettes d’aujourd’hui se faisaient connaître en faisant quotidiennement usage de propos tout aussi diffamants que cruels envers cette petite poignée d’artistes québécois qui parvenaient à vivre malgré qu’on ne voulait pas les faire jouer à la radio, comme si ces derniers ne payaient pas aussi des taxes. À cette époque, notre intelligentsia qualifiait la radio de Québec comme étant de la « Radio poubelle », car Mr André Arthur osait dénoncer les excessives dépenses d’une grande dame, handicapée de surcroît, soit une certaine lieutenante gouverneure, mais avec le recul, qui avait la fausse note ? Qui tenait réellement les poignés de cette poubelle du mauvais goût ?

Avec le temps, Mr Normand Brathwaite a fini par dire, comme plusieurs autres humoristes que l’humour de l’époque ne passerait plus aujourd’hui, mais n’a jamais eu le courage de s’excuser pour les atrocités qu’il colporta quotidiennement avec ses invités ! Pourtant, pareille haine impliqua que Pier Béland ne put jamais signer son œuvre « Maudit Bordel », car cette œuvre aurait aussitôt été rejetée par une intelligentsia méprisante envers ceux qui savent être aimés sans être subventionné. En effet, ce n’est qu’avec le bout des lèvres, qu’on finit par reconnaître la paternité de Mme Béland sur ladite œuvre, et ce, avec bien peu de mots. Recopiant et recollant la même petite phrase d’un média à l’autre : « … Chanson qui lui a été donnée par Pier Béland et qui remporta un immense succès … » tout en omettant de dire l’essentiel.

Naturellement, Pier Béland n’eut que rarement la chance d’être invitée ici et là afin de nous raconter quelques insipides états d’âme, ne fut jamais approchée afin de devenir panéliste ou jurée, ne fut jamais sélectionnée pour qu’on refasse la décoration de son sous-sol, car elle ne faisait pas partie de la « Gang ». Sur le plateau de la Métropole, on résume encore aujourd’hui, la carrière de Marie-Chantal Toupin par la dimension de sa poitrine tout en se moquant toujours de Pier Béland. Sommes-nous un grand peuple émancipé de tolérance ?

Personnellement, je n’ai jamais acheté un disque de Pier Béland, pas parce que celle-ci n’était pas une véritable chanteuse, mais parce que je ne faisais pas parti de ce public qui l’admirait et qui avait, aussi, le droit d’exister. Par contre, j’ai toujours eu un très grand respect pour ces artistes qui ont su mériter la reconnaissance de leur publique malgré un système qui ne voulait pas d’eux, et à l’époque, j’avais cessé d’écouter « Piment fort », car j’avais fini par comprendre que je n’étais plus en face d’une émission humoristique, mais en face d’une « Télévision Poubelle » où le mépris était royalement rémunéré.

Mme Béland, merci pour ces belles années. Toutefois, votre aventure ne se terminera pas ainsi, car il restera toujours ce petit air de déjà vu, afin de nous rappeler que la vie, n’est parfois rien d’autre qu’un maudit Bordel. Votre prochain disque bénéficiera d’une couverture médiatique comme nul autre auparavant, et ce sera si peu, si tard …

La Direction

N.B. Le mardi 16 avril 2013, Mme Béland fut emportée par un cancer de l’utérus qui avait été que trop tardivement diagnostiqué. Le combat fut empreint d’espoir depuis juin dernier, mais fait désormais place aux souvenirs.

Photo : Mme Pier Béland